L'encryptage illégal en Belgique

Par Olivier Bonaventure

De nombreux pays assimilent les dispositifs (matériels ou logiciels) d'encryptage à des armes et réglementent l'exportation et ou l'utilisation des ces dispositifs. Les USA, et par extension de nombreux pays occidentaux, interdisent l'exportation de logiciels utilisant un algorithme d'encryptage sûr. C'est la raison pour laquelle les versions " export " de nombreux logiciels commerciaux américains (Netscape par exemple) sont bridées. Cette restriction s'applique également à des programmes freeware tels que PGP (du moins les anciennes versions) qui en théorie ne devraient pas quitter les Etats-Unis. Pour contrer ces dispositions légales, PGP existe maintenant en deux versions. La première est développée aux Etats-Unis et n'est disponible que pour les citoyens américains et canadiens. La seconde est développée en dehors des Etats-Unis et n'est pas soumises à la loi américaine. Si vous devez downloader un jour PGP, faites-le depuis un site non-américain, vous éviterez de nombreux problèmes, et en plus la version non-US est en général plus rapide que la version US.

Outre les restrictions à l'exportation, certains pays imposent également des restrictions à l'utilisation des algorithmes d'encryptage. C'est par exemple le cas de la France qui assimile les dispositifs d'encryptage à des armes et où toute utilisation d'une technique d'encryptage doit être soumise à l'accord préalable du gouvernement. En général, cet accord est soumis à des conditions très strictes.

En Belgique, la situation est nettement moins claire. Le mercredi 3 mars, reprenant des informations parues dans le Standard, le Soir titrait " Les Belges sans petits secrets : le cryptage est illégal". Le 21 décembre 1994, sans aucune publicité, le gouvernement a fait modifier (Moniteur Belge du 23 décembre 1994) deux articles de la loi du 21 mars 1991 portant sur la réforme de certains entreprises publiques (dont Belgacom). Les deux articles modifiés (ajout d'un article 70bis et d'un alinéa 5° à l'article 90) sont les suivants :

"70. Lorsque la sécurité publique ou la défense du royaume l'exigent, le Roi peut, par arrêté délibéré en Conseil des Ministres, interdire en tout ou en partie au cours de la période fixée par Lui :

  1. d'assurer les télécommunications publiques
  2. d'assurer un service non réservé
  3. d'utiliser ou de détenir une installation de télécommunication

Le Roi peut, à cet effet, prescrire toutes les mesures qu'Il juge utiles, notamment la mise sous séquestre des équipements ou leur mise en dépôt à un endroit déterminé. Les mesures visées dans le présent article ne donnent lieu à l'attribution d'aucune indemnité.

"70bis. Le Roi fixe, par arrêté délibéré en Conseil des Ministres, les moyens techniques par lesquels Belgacom et les exploitants des services non réservés qu'Il désigne doivent permettre, le cas échéant, éventuellement conjointement, le repérage, les écoutes, la prise de connaissance et l'enregistrement des télécommunications privées dans les conditions prévues par la loi du 30 juin 1994 relative à la protection de la vie privée contre les écoutes, la prise de connaissance et l'enregistrement de communication et de télécommunications privées.

"95. Le Ministre peut, sur proposition de l'Institut Belge des services postaux et des télécommunications (IBPT) retirer un agrément ou imposer une interdiction de maintenir le raccordement à l'infrastructure publique de télécommunications lorsqu'il s'avère que :

  1. l'appareil terminal d'un type agréé ne correspond plus à l'appareil agréé initialement
  2. l'appareil terminal ne répond plus aux spécifications techniques en vigueur
  3. les conditions auxquelles l'agrément a été délivré et qui concernent l'usage pour lequel l'appareil terminal a été agréé ne sont pas respectées
  4. l'appareil terminal est source de dérangements, occasionne des dégâts à l'infrastructure publique de télécommunications, ou comporte un danger pour les utilisateurs ou pour le personnel de Belgacom.
  5. l'appareil rend inefficaces les moyens permettant, dans les conditions prévues aux articles 88bis et 90ter à 90decies du Code d'instruction criminelle, le repérage, les écoutes, la prise de connaissance et 'enregistrement des télécommunications privées. L'agrément peut être retiré selon les formes et les conditions déterminées par le Ministre, sur proposition de l'Institut."
    Ces deux articles de loi pourraient servir de base à une interdiction ou une réglementation stricte de l'utilisation de dispositifs d'encryptage en Belgique. La sévérité potentielle de l'alinéa
  6. de l'article 95 tranche avec la loi du 30 janvier 1994 sur la protection de la vie privée réglementant les écoutes téléphoniques. En effet, cette loi n'autorise les écoutes téléphoniques que dans des cas très précis et pour des faits graves (atteinte à la personne du Roi ou de sa famille, attentat, prise d'otages, incitation à la débauche sur la personne d'un mineur, meurtre, vol avec violences, vol et extorsion de matières nucléaires, recel, incendie volontaire).Vu la forte réglementation des écoutes téléphoniques, il semble raisonnable de supposer qu'elles ne sont en pratique que rarement nécessaires pour résoudre des affaires judiciaires. Dans ces conditions, on peut se poser des questions sur la nécessité de réglementer fortement, voire d'empêcher la majorité de la population d'utiliser des dispositifs d'encryptage...

Interdire l'encryptage dans une société où la place des télécommunications est de plus en plus importante équivaudrait à interdire l'utilisation d'enveloppes pour tout le courrier confié à la poste et de la forcer à n'accepter que des cartes postales... Même si la Constitution Belge garantit le secret des lettres, on voit mal un gouvernement démocratique imposer l'utilisation de la carte postale... Restons sérieux !

Olivier Bonaventure E-Mail olivier@rtfm.be


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Dernière modification de cette page : 9 novembre 1996